400 ans d'existence pour le violon...
Ce n'est pas l'histoire du violon, ou une thèse de musicologie
que je développerai ici. Des milliers de pages existent déjà,
et je me contenterai d'évoquer des faits de société qui y ont trait,
dont on parle peu.
L'évolution du violon, n'est que la conséquence des changements humains de son époque. L'art et la culture ont été, tout comme aujourd'hui sensibles, (ou soumis?) à de banales influences, que sont l'argent, le goût du pouvoir, ou celui de la religion. Cela n'a pas empêché les génies de s'y épanouir… XVIIe et XVIIIe siècles, XIXe siècle.
J'évoquerai aussi le peu de détails dont on est sûr, à propos des accessoires du Quatuor, qui sont les "consommables" du violon, qu'on a donc souvent changé pour moderniser un instrument ancien, sans se soucier de leur histoire.
C'est au milieu du XVIe siècle, qu'Andrea Amati - l'école de Crémone - donne au violon un standard qui n'évoluera plus beaucoup durant ces 4 derniers siècles. Il a pour double origine la famille des vièles, instruments populaires joués sur l'épaule, ainsi que celle des violes aristocratiques, jouées elles, entre les genoux, comme le violoncelle. L'ascension sociale du violon a donc été difficile, car la musique savante se serait compromise à user d'un crin-crin populaire.
La musique à l'époque était souvent religieuse, et l'Eglise très liée au monde aristocratique, ce lobbying a bien pesé dans la promotion du violon. On a vu son brillant soutien en Italie, ou sa grande réserve à l'usage du violoncelle, en France.
Un autre soutien - involontaire - à l'avènement du violon en France, a été la mode des Bergeries et Musiques Champêtres, à la Cour de Versailles.
La bande des 24 violons du Roy, premier signe officiel de reconnaissance à cet instrument, était surtout présente pour soutenir les fêtards au retour de la chasse.
Le goût du Divin, des sources mythologiques, des grands sentiments… et toute cette rêverie ornementée de l'époque baroque ont permis au violon de trouver une place plus adéquate à son expression. Lorsque l'aristocratie s'approprie cet instrument, elle en a les moyens, puisqu'elle soutient la facture et la pratique instrumentales, paie des spectacles et des compositeurs, pratique la danse et la musique.
A une époque où l'on commence à voyager sans crainte, et à commercer, les liens artistiques sont forts en Europe. Ce développement culturel devient universel dans la classe aristocratique de l'ancien continent.
La notion de respect de l'instrument ancien n'existait pas, et combien d'instruments passés de mode, à l'époque, se sont vus recyclés dans d'autres : une guitare baroque transformée en vielle à roue, ou la retaille sauvage de violes en violoncelles.
S'il est un savoir propre aux luthiers, c'est bien celui du choix des bois. Les mythes ont la vie dure, et bien des bois qui composent des instruments anciens ne sont pas si beaux : j'ai vu une table d'harmonie où une rustine de bois masque une poche de résine, ou encore un nœud de bois sur un fond d'instrument.
La vénération que l'on porte au séchage du bois chez les anciens n'est pas plus fondée, puisque la dendrochronologie - qui permet de dater un bois à l'année près - nous montre que des instruments datés ont été fabriqués une quinzaine d'années après la chute de l'arbre. Ce temps de séchage du bois est très raisonnable, mais pas du tout vénérable… Stradivarius - lui aussi de l'école de Crémone - a fabriqué un grand nombre d'instruments en dehors du Quatuor : harpes, guitares, cistres… Le luthier à cordes du XVIIIe produit toutes sortes d'instruments et ne connaît pas notre spécialisation moderne.
La pratique musicale de l'ère baroque est alors l'apanage de la classe dirigeante, celle qui a le temps et les moyens de prendre des cours de danse, ou d'entretenir un musicien. Au delà de ce passe temps de société, la Musique est un moyen d'aspirer aux grands thèmes de l'époque, la Beauté, l'Amour, le Pouvoir Divin.
L'instrumentiste n'est pas un interprète personnel, mais juste un transmetteur humain, vers ses semblables, de cette quête sentimentale inaccessible.
Plusieurs méthodes instrumentales du XVIIIe consacrent tout un chapitre, plus à l'expression du musicien, qu'au positionnement de son corps: il convient impérativement d'un port de tête noble et altier, la bouche et les yeux détendus, sans grimace. Je pense au sourire tétanisé dont l'accordéoniste d'aujourd'hui nous fusille, tout au long d'une soirée de bal populaire, malgré la lourde charge qui lui scie les épaules. Le violoniste dont la position de jeu est au moins aussi inconfortable, et qui de plus doit "fabriquer", la justesse et la texture de sa note, souffre aussi d'une position corporelle peu naturelle voire douloureuse. Ce n'est pas au XVIIIe siècle qu'il s'en est aperçu, la position de jeu était alors moins standardisée, la sensibilité personnelle étant moins présente et enfin moins contrainte par une virtuosité qui sera l'apanage du siècle suivant.
De cette période, on ne trouve pas beaucoup d'accessoires. La mentonnière et la pique n'existaient pas encore, les positions de jeu sont encore peu standardisées.
Sur les instruments qui nous sont parvenus, chevilles et cordiers se sont usés, ils ont été maintes fois remplacés, il n'y a plus d'originaux, ou alors ils sont anonymes.
Il reste un moyen pour les découvrir. Les musées n'ont pas conservé souvent les meilleures pièces: en témoignent les instruments "de cabinet", ceux qui sont couverts d'ivoire et de nacre, et qui ont plus été fabriqués pour la vitrine que pour la musique…Ils y sont restés depuis. De ce fait moins joués, ils se sont moins usés, donc mieux conservés jusqu'à aujourd'hui. Les accessoires les plus authentiques équipent aussi les instruments très tôt tombés en désuétude, comme le guitare baroque, la vielle à roue, ou la viole d'amour: on trouve là cordiers et chevilles qui paraissent originaux.
Si le tournage des chevilles anciennes ordinaires est toujours très rustique, sans finition, il faut se souvenir que le ponçage était rare. L'aspect est donc peu soigné, mais elles ont une «gueule», résultat d'un coup de gouge incisif, traduisant la dextérité du geste du tourneur. La tête a les flancs plats, et sa forme assez ronde, dégage largement la moulure - souvent informe - qui raccorde le cône de la cheville. Les bords de tête comportent souvent deux rainures, au plus large de la tête. Très souvent, le dessus de tête porte un bouton, ou un grain blanc, en os.
Le cordier baroque est une planchette trapézoïdale de bois très léger,moins de 10 grammes pour le violon, dont le dessus est à peine arrondi. Les 2 cordes extrêmes, Mi et Sol, font un angle (le renversement), plus plat que les 2 autres cordes, sur le chevalet. Notez que sur le violon moderne, cette courbe est plus ronde, identique à celle du chevalet: le renversement est plus régulier, comme la pression de chaque corde sur le chevalet. Aux débuts des importations de bois précieux, une feuille de placage recouvre le cordier de bois blanc.
La mentonnière est encore inconnue.
La piques n'existe pas encore non plus.
De la révolution française à la grande crise de 1929, cette période marque la naissance de l'ère industrielle. Le déclin de l'aristocratie, au bénéfice de la bourgeoisie bouleverse autant les équilibres sociaux que culturels: voici les débuts de la culture de masse, avec la mode des concerts, la construction de grandes salles de spectacle.
Cette ère du Fer et du Charbon célèbre la ruche humaine au travers des valeurs telles que le Travail, la Famille, la Patrie (slogan de triste mémoire dans la France des années 1940). Elle abolit l'esclavage individuel dans le même temps ou se développent colonisation et comptoirs commerciaux du Tiers monde. La facture instrumentale devient scientifique, on améliore (standardise aussi) les timbres, les puissances sonores. Les Fabriques produisent des instruments en masse, et déploient des circuits commerciaux vers la province et l'étranger, avec les débuts de catalogues de vente par correspondance. Curieusement à l'opposé de ces valeurs de masse, l'interprétation musicale s'individualise, des stars apparaissent. C'est aussi le siècle de l'invention, du dépassement des capacités humaines. Les expositions universelles couronnent les prouesses de génies, artistes, inventeurs ou capitaines d'industrie. La construction de la Tour Eiffel, la virtuosité d'un Paganini n'en témoignent ils pas ? Parmi les nombreux brevets d'invention déposés pour la facture instrumentale, un certain nombre contribue à repousser les limites des capacités humaines, à contraindre l'humain aux mêmes progrès technologiques que les instruments : des accessoires métalliques pour étirer les doigts, des potences pour redresser la tête du jeune violoniste, et j'en passe.Aussi, la médaille a son revers; ces valeurs mettent en place des règles sociales draconiennes, ou de sombres morales représentées par exemple par le puritanisme Victorien. Quelle déchéance pour l'individu humain…
La cheville plate, désormais en ébène, ou en poirier teinté noir, reste un modèle ordinaire. On trouvera souvent en France, des chevilles en Palissandre, très appréciées à cause de leur qualité pour l'accord. Puis apparaîtra le cheville creuse,et enfin, la cheville à boudin.
Il devient plus épais, pour résister à une plus forte tension des cordes, mais rétrécit en largeur, peut être pour économiser du bois. Il est bien plus bombé, désormais son arrondi a la même courbure que le chevalet, et cela renforce la puissance du Mi & du Sol.
La corde d'attache au bouton, «en cavalier» est progressivement abandonnée, au profit du système moderne, longitudinal. Cette attache est en fil de métal dur, ou en brins de boyau. C'est certainement un moyen de renforcer la puissance,et la dureté de l'attaque sonore. Enfin, on commence à décorer les cordiers, avec des fleurs de nacre, vers 1870.
La naissance de la mentonnière : Une caricature, de 1833, parle de ce «fameux champignon qui avait poussé au bord des violons». Il est à ses débuts très discret : une simple languette d'ébène. Il paraît évident que cette pièce rapportée bride la sonorité du violon, mais en revanche, elle réduit l'usure de la table de résonnance, dont l'épicéa, ce bois tendre, est abimé par les poils de barbe, ou l'acidité de la transpiration. Elle contribue à la standardisation de la position de jeu du violoniste, et lui permet sécurité et vélocité. A la fin de cette période, si son adoption est unanime, tout n'est pas résolu : le musicien a mal au cou, a la peau irritée.
Cette pièce de bois devrait permettre un contact intime avec le violoniste, au point de laisser croire que le violon est un prolongement naturel de son âme et de son corps… Il n'en est rien, cette mentonnière focalisera bientôt tous les bleus de l'âme et du corps, et il y en a... mais elle cristallisera aussi tous les maux imaginaires, les mal-être de l'humain ordinaire.
A l'époque baroque, le cordier était attaché à un bouton, au bas de l'instrument, comme pour le violon. Tout comme la basse de viole, le violoncelle était alors tenu entre les jarrets, ce qui en réduisait la puissance sonore. Voilà qui importait peu, puisque son rôle, dans le continuo, tenait la rythmique, et enrichissait l'harmonie, bien à l'ombre des instruments du dessus, mélodiques et envahissants, comme le violon ou le hautbois. Le XIXe siècle le fait sortir de ce rôle indispensable et effacé, car le violoncelle gagne en puissance, élargit sa tessiture et se trouve enfin une littérature musicale. Il trouve enfin une place à part entière. Il est à noter que son usage reste masculin, et toujours déconseillé aux femmes, pour une raison aujourd'hui futile. Il s'agit de l'indécence de la position de jeu, qui 100 ans plus tôt ne gênait personne lorsqu'une femme était à la viole de gambe…
Il s'est agi plutôt de réserver aux hommes la nouvelle place de soliste que le violoncelle pouvait offrir. L'arrivée de ce court piquet, souvent en bois, et de plus démontable, permet une plus grande proximité du buste avec l'instrument, et une meilleure sécurité dans les passages rapides, et dans le jeu des aigus.